Il revient chaque année, et amène toujours avec lui son lot de stress, d’interrogations, et même parfois de remise en cause. De quoi s’agit-il, demanderez-vous ? De l’entretien annuel d’évaluation, bien sûr ! Pour l’heure, et à quelques exceptions notables près, il reste en tout cas incontournable dans la quasi-totalité des entreprises en France. Et pour la plupart des salariés concernés, c’est un jour particulier, qui doit lui permettre de mettre en valeur son travail, de faire le bilan sur l’année écoulée, mais aussi de se projeter dans l’avenir ! Il nous paraissait donc opportun de faire le point sur ce qu’implique aujourd’hui l’entretien d’évaluation – aussi bien pour le collaborateur que son manager, et plus globalement pour l’entreprise – tout en ayant un regard critique sur les nécessaires évolutions qu’il va devoir subir pour rester pertinent.
Quels sont les enjeux de l’entretien annuel ?
Contrairement à ce que l’on entend parfois, cet entretien ne correspond pas à une obligation du Code du Travail. Toutefois, certains accords collectifs – notamment pour prévoir un temps de travail au forfait supérieur à la durée légale, moyennant rémunération – peuvent effectivement lui conférer ce caractère juridiquement contraignant. Mais qu’il soit obligatoire ou non, le fait est que l’entretien annuel est utilisé par l’immense majorité des entreprises françaises, et il y a de bonnes raisons à cela.
Tout d’abord, pour le salarié, cette rencontre est un moment privilégié avec son manager pour traiter de ses conditions de travail, de l’ambiance qu’il perçoit, d’éventuels dysfonctionnements dans l’organisation qui mineraient sa motivation, etc. C’est aussi bien sûr l’occasion de revenir sur les principaux événements – réussites et échecs – de l’année écoulée, d’en tirer les conséquences qui s’imposent dans une logique d’amélioration continue, et de préparer l’avenir. Le salarié peut ainsi en profiter pour demander une formation, ou tel ou tel moyen supplémentaire, afin de l’aider à mieux accomplir ses missions. Si les circonstances s’y prêtent, au travers de résultats ne laissant la place à aucune critique, le salarié méritant peut en profiter pour solliciter une juste récompense, au travers d’une prime, d’une augmentation ou d’une promotion.
Du point de vue du manager, cet entretien sert aussi à dresser un bilan de l’atteinte des objectifs pour l’année qui se termine, mais ce n’est pas tout. De fait, c’est le moment idéal pour mesurer la motivation des collaborateurs sous sa responsabilité hiérarchique, s’enquérir sur leur état d’esprit, et sur l’ambiance qui règne dans son service. Le manager en profitera également pour fixer les objectifs de l’année à venir, en tenant compte des remarques pertinentes des salariés, notamment vis-à-vis des moyens nécessaires à mettre en face (par exemple pour l’acquisition de nouvelles compétences).
Enfin, l’employeur trouve également une utilité dans ce système d’entretien annuel d’évaluation grâce à la compilation des données des différents managers, qui doit être faite par le service des Ressources Humaines. Ainsi, l’entreprise pourra être « cartographiée » en fonction des performances obtenues, d’une part, mais aussi de l’ambiance perçue et de la motivation constatée des salariés, d’autre part.
La façon dont un message que la Direction souhaiterait transmettre à tous les collaborateurs est effectivement compris peut aussi être testée, de même que les différents styles de management des responsables hiérarchiques.
Comment faut-il le préparer pour qu’il soit « réussi » ?
Avant de répondre à cette – bonne – question, il convient d’abord de préciser ce que l’on entend par « réussi », car tout dépend du point de vue que l’on adopte. Ainsi, pour le salarié, son entretien sera perçu comme un succès s’il a eu l’impression d’être entendu et écouté par son manager, et s’il en ressort avec une sensation (évidemment subjective) de justice.
Pour le manager, un entretien réussi est celui qui permet de fixer le cap pour l’année à venir avec une motivation pleine et entière de chacun des salariés appelés à être acteurs dans la réalisation de cet objectif.
Dans tous les cas de figure, la préparation en amont est absolument incontournable, car sans elle, les risques d’un dialogue stérile – voire d’un échange de blâmes – sont grands. Et la clé du succès réside dans un art délicat, celui de l’objectivation d’un travail sur une année entière. Il faut, pour le salarié, lister factuellement les points forts de son action, et les freins rencontrés, tout en envisageant des pistes d’amélioration de sa propre productivité. Comptez environ une semaine de prévenance, a minima, pour ne prendre personne au dépourvu.
En parallèle, dans le respect du principe de loyauté, l’employeur doit jouer la transparence en ce qui concerne les grilles d’évaluation de ces entretiens, là encore avec un maximum de critères clairement définis et objectifs. En outre, il n’est pas question que cet entretien porte sur la vie privée du salarié, en dehors de la question classique : « parvenez-vous à trouver au quotidien un bon équilibre entre les sphères privée et professionnelle ? ». L’âge, la santé, les origines ou l’appartenance politique et/ou syndicale sont clairement off limits.
Ensuite, il est essentiel que chaque partie puisse s’exprimer respectueusement, et idéalement qu’une conversation constructive se mette en place, le salarié faisant preuve de proactivité. Pour cela, il est impératif que l’entretien ait lieu dans un endroit calme, sans les interférences du travail au quotidien, et avec une totale confidentialité. Enfin, s’il n’est pas obligatoire de prévoir un compte-rendu de cet entretien annuel, cela nous semble préférable, et il faudra alors prévoir deux signatures : celle du manager et celle du salarié (éventuellement avec l’ajout de remarques personnelles).
Par ailleurs, un entretien réussi pour l’entreprise ne se limite pas à la réception d’un compte-rendu par les RH, mais il se mesure à l’aune des performances (en progression, espérons-le) des salariés et de leurs managers sur l’année suivante. C’est notamment pour cette raison que les engagements qui sont pris à l’occasion de ce type d’entretien doivent se concrétiser, au risque d’une remise en cause de la crédibilité du management au global.
Enfin, n’oubliez pas qu’au moment de conclure un entretien, avant la signature de la grille d’évaluation et/ou du compte-rendu, il est toujours préférable de répéter les points les plus importants, pour s’assurer que les deux parties en présence ont bien compris la même chose. Et cette remarque est d’autant plus essentielle en cette période de télétravail à forte dose.
De l’impérieuse nécessité d’une évolution du système
Au cours des dernières années, et plus particulièrement depuis le début des années 2010, le concept même de l’entretien annuel se voit de plus en plus questionné, et souvent remis en cause. Ainsi, de grands groupes – tels que AdP, Orange ou le géant américain Google – ont purement et simplement abandonné cet entretien annuel au profit d’un suivi des collaborateurs plus fréquent. Et si l’on en droit une étude du cabinet Deloitte de 2017, plus de 9 managers sur 10 ne perçoivent aucune utilité à ce système, et environ 65% des salariés et 70% des responsables RH partagent ce constat.
Un tel « désamour » trouve notamment ses racines dans un changement de paradigme du fonctionnement interne des entreprises, qui privilégient de plus en plus le mode « projet », avec à la clé des retours nécessairement plus fréquents qu’une seule fois par an. Pour autant, est-ce à dire que l’entretien annuel n’est qu’une relique du passé ? Il semblerait bien que non, car ces points rapides et réguliers ne permettent pas la prise de recul d’une rencontre annuelle, et la solennité de celle-ci a du bon pour structurer la vie d’une entreprise.
A vrai dire, l’entretien annuel seul n’est plus suffisant, c’est certain, mais sa disparition n’est pas non plus souhaitable. En revanche, il peut évoluer pour davantage être plus proche du collaborateur, en tenant compte de son développement au moins autant que de ses performances. Et puis, pour que les salariés soient – enfin – davantage engagés, certaines sociétés jouent la carte de l’originalité en proposant aux collaborateurs d’évaluer eux-aussi la performance des managers.
Après tout, si l’on part du postulat que les salariés peuvent faire preuve d’objectivité pour leur travail, pourquoi ne pourraient-ils pas en faire de même vis-à-vis de celui de leurs supérieurs hiérarchiques (parfois même jusqu’au niveau du CEO) ? Et c’est alors toute l’entreprise qui peut en profiter, en faisant progresser chaque strate de son organisation.
Crédit Photo : Amy Hirschi